Depuis 2012, Stéphane Layani dirige le Marché international de Rungis, situé dans la banlieue sud de Paris. Cet énarque y a mis en place le plan d’investissement « Rungis 2035 » et entrepris une modernisation des bâtiments. Depuis 2020, ces derniers accueillent entre autres les bureaux de la Rungis Académie, un hub regroupant 27 organismes de formation spécialisés dans les métiers de bouche – École Lenôtre, Ferrandi, etc. Homme gourmand, il aime découvrir de nouveaux restaurants et a cosigné, avec le critique gastronomique Gilles Pudlowski, l’ouvrage Les Bonnes Tables, paru en 2019 chez Michel Lafon.
Quelle place occupent les restaurateurs à Rungis ?
Nous sommes d’abord une centrale d’achats pour les commerçants des marchés et les détaillants traditionnels. Les restaurateurs, eux, représentent 15 % de notre chiffre d’affaires annuel de 10 milliards d’euros : ils sont 5 000 à posséder la carte acheteur de Rungis. La plupart se font toutefois livrer par des grossistes à service complet, comme Transgourmet, Métro, Les Vergers St Eustache…
Les plus grands chefs préfèrent venir sur place ?
Oui, car ils rencontrent ainsi directement des distributeurs d’exception. Nous sommes les seuls en B to B à disposer d’une marée en propre. À Rungis, l’acheteur choisit sur pièce le produit au meilleur prix, la dorade plutôt que le cabillaud, par exemple.
Que conseillez-vous à un chef qui ouvre son établissement ?
De venir d’abord à Rungis avant de se mettre « entre les griffes » d’un courtier ou d’un livreur. La carte d’acheteur se fait très facilement en ligne, avec une pièce d’identité, un RIB et un extrait du registre de commerce. Notre service Rungis Accueil propose des personal shoppers, des guides pour découvrir un lieu immense… plus grand que Monaco.
Quelles sont les règles de ce monde d’initiés ?
La première : à Rungis, la parole vaut de l’or. C’est « tope là ». Et croyez-moi, même s’il y a 13 000 salariés et près de 1 200 grossistes, les infos circulent. Le respect est essentiel, la fidélité aussi. La seconde, c’est de venir tôt : à partir de 2 heures pour la marée, 4 heures pour la viande et les fleurs. Rungis bat son plein autour de 6 heures ; après 8 h 30, les acheteurs sont moins nombreux.
230 hectares, des dizaines de pavillons : qu’y trouve-t-on ?
1 million de références ! Un supermarché en totalise 2 000. Sur 3 millions de denrées écoulées au total chaque année, il y a 1,4 million de tonnes de fruits et légumes. Rungis est spécialisé dans le frais, mais on s’y approvisionne aussi en produits préparés.
À l’heure du locavore, comment se positionne une centrale comme Rungis ?
Pour un restaurateur, la saisonnalité est importante, mais aussi la régularité. Le « tout en direct » n’est pas possible. En fait, un marché de gros est un outil de proximité. Au sein de notre Carreau des Producteurs, 50 sont d’Île-de-France. On écoule à Rungis 60 % de la production francilienne, soit 13 000 tonnes. Mais par ailleurs, un train des primeurs quitte chaque jour Perpignan à 17 heures pour nous fournir.
Que pourra acheter un chef en dehors de l’alimentation ?
Tous les accessoires de cuisine – des nappes, des casseroles, des couteaux… – à La Corpo ou à La Bovida, par exemple. De la déco chez Sobo ou chez nos amis fleuristes comme Feuillazur. Rungis est le point d’entrée et d’expédition de 100 millions de tiges de fleurs fraîches, importantes sur les tables.
Est-ce que Rungis est à l’origine de tendances ?
Oui ! Nous avons relancé le citron caviar, la main de Bouddha, l’escargot de Bourgogne ou, depuis peu, la fraise de veau. En ce moment, les produits moins chers ont le vent en poupe. Mais honnêtement, en venant à Rungis ou en regardant les prix au cours du jour, accessibles sur le site le Réseau des nouvelles des marchés (franceagrimer. fr), on se rend compte que les ingrédients de base pour manger correctement ne sont pas si coûteux… De plus, un grossiste peut consentir des remises importantes à son client. Quand on dit que la restauration va mal, j’ai du mal à y croire. Globalement, le secteur se porte bien.
Et les invendus ?
Il y en a peu. Au bout de deux jours et demi, on donne au Potager de Marianne, aux épiceries solidaires, au Refettorio, aux Restos du Cœur… Cela représente 1 200 tonnes de produits par an et 2,8 millions de repas.
À Rungis, on mange bien ?
Oui, et les restaurants sont ouverts à tous, aux pros comme au public. Il suffit d’acquitter le péage pour accéder à l’un de nos 20 établissements : À la Marée, ouvert 24 heures sur 24, L’Étoile, Chez Antoine, Au Veau qui tète, champion du monde de triperie, ou La Cantine du Troquet du chef Stéphane Bertignac. En juin, Nicolas Sale, l’ex-chef du Ritz, doublement étoilé, président des Disciples Escoffier, va ouvrir À la source, sa « cantine de partage » au sein du secteur des fruits et légumes. On s’en régale d’avance.