Nina Métayer, une crème de pâtissière

Se rêvant boulangère, Nina Métayer sera passée du fournil aux fourneaux faute de trouver du travail. Ses talents désormais reconnus et le titre de Meilleure pâtissière du monde décroché en 2023, la jeune mère de famille est devenue, à 36 ans, l’idole des becs sucrés. Rencontre avec une bosseuse débordée, toujours enjouée.
Article rédigé par
Jean-Pascal Grosso

Nina Métayer a 16 ans lorsque ses parents acceptent qu’elle parte au Mexique afin d’apprendre une langue étrangère. Pour l’adolescente, alors élève en difficulté – « J’étais assidue mais l’école me demandait trop d’efforts » –, le coup de cœur pour le pays se double d’une révélation. Pourquoi ne pas proposer là-bas ce qui existe de plus français au monde, c’est-à-dire le pain ? Elle rentre, passe son diplôme de boulangerie, mais faute de trouver un emploi, se lance dans un CAP pâtisserie. Ce sera, pour la future cheffe, une décision majeure. Depuis, la Rochelaise d’origine a posé son empreinte sucrée de la Délicatisserie, son labo d’Issy-les-Moulineaux en région parisienne, à d’éminentes adresses internationales (Printemps du Goût à Paris, Café Pouchkine à Moscou, Chaoyi Buer à Shanghai, etc.). En octobre 2023, c’est la timbale : Nina Métayer est la première femme à décrocher le titre mondial de « meilleur pâtissier de l’année » décerné par l’Union internationale des boulangers et pâtissiers (UIBC). Au moment de réaliser cet entretien, une nouvelle distinction vient saluer le travail de cette épatante trentenaire. Début juin, elle est élue Meilleure Cheffe pâtissière du monde lors de la cérémonie des World’s 50 Best Restaurants 2024 à Las Vegas. Le comble pour une pâtissière 2.0 sans boutique en propre ! La suite ? « Continuer à rendre mon entourage heureux, à emmener avec moi des artisans passionnés et à régaler des gens au quotidien », confesse-t-elle tout sourire. Et dire qu’apprentie, elle préférait le pain aux gâteaux...

« J’ai de l’énergie. Si jamais quelque chose ne va pas, je parviens toujours à y trouver le meilleur. On ne peut pas tout réussir tout de suite. Sinon, ce serait trop beau. La vie est belle, mais, à un moment, c’est à nous de la rendre belle également. Et cela passe par ne pas trouver le bon chemin du premier coup. Vous subissez toujours de petites contrariétés au passage. » © Studio 520

Comment se réveille-t-on « meilleure pâtissière du monde » ?

Comme je me lève – et je me couche – depuis 20 ans : assez fatiguée. Car mes journées sont longues et souvent intenses. Elle est chouette votre question parce que j’adore le lever et le coucher. Pour moi, ce sont deux moments très importants dans la vie. Il faut toujours se coucher fier de ce qu’on a fait. Et se lever plein d’énergie pour faire mieux que la veille.

Quel est votre premier souvenir de sucré ?

Les bombes de chantilly que m’achetait mon papa. Il savait que j’aimais ça alors il m’en ramenait des courses. Ce n’est pas génial, mais c’est ce dont je me souviens en premier. 

Quand vous êtes-vous rendu compte de l’étendue de votre talent ?

Personnellement, je ne pense pas avoir de talent. Je crois que c’est du travail, du travail, du travail... La répétition du geste encore et encore. À la limite, si j’avais un seul talent, ce serait celui d’essayer de communiquer mon bonheur, de rassembler les gens. Au départ, la pâtisserie, ça allait à l’inverse de toutes mes compétences. Je n’étais pas minutieuse, ni patiente. J’ai donc appris à l’être. Je suis arrivée en pâtisserie parce que personne ne voulait de moi en boulangerie. Au départ, ça ne me plaisait pas du tout. Ce que j’adorais, c’était le pain. Pas les gâteaux.

Le Tiramisu « Un biscuit japonais aérien, une crème tiramisu extrêmement onctueuse, avec un petit disque pour apporter du craquant. À l’intérieur, il y a un biscuit cuillère imbibé d’un bon café. » © Mathieu Salomé
« Jamais je n’aurais imaginé à quel point la pâtisserie allait si bien me correspondre. Je m’en suis rendu compte il y a peu. La pâtisserie est accessible à tout le monde. Tout le monde peut s’acheter un petit gâteau, un cookie... Je trouve la pâtisserie tellement complète dans la transmission, dans le partage et les valeurs qu’elle porte. » © Mathieu Salomé

Comment expliquer votre succès ?

Je n’en sais rien. Si je pouvais choisir, la plus belle des raisons serait peut-être ce bonheur en lequel je crois profondément. Je m’en fiche un peu de faire des gâteaux. Mon but, depuis que je suis petite, c’est de partager de la joie et du plaisir. Adolescente, je me sentais complètement nulle dans tout ce que j’entreprenais. Mais je n’avais pas envie d’être triste, de me sentir mal. Je voyais des gens qui vivaient simplement et je me disais qu’on pouvait aussi être heureux comme ça. C’est là que j’ai pris le parti d’être positive. C’est à partir de ce moment-là que j’ai vraiment cru en moi et que je me suis dit que j’arriverais à emmener tout le monde avec moi. Si on est heureux soi-même, on peut partager ce bonheur avec les autres, parce que c’est un bonheur sain.

Pour quelle raison dites-vous ne pas avoir trouvé de travail en boulangerie ? 

Je viens d’une famille où on a le droit de tout faire. Je n’ai pas grandi dans un milieu où les filles pouvaient s’autoriser moins de choses que les garçons. Ma mère et ma grand-mère sont entrepreneures. Je ne m’attendais donc pas à ce que la boulangerie soit si fermée aux femmes. Jamais l’idée ne m’avait effleuré l’esprit. Mais je ne trouvais pas de travail. J’ai compris à ce moment-là que, dans ce secteur, une femme était moins perçue à sa place au fournil qu’à la vente.

Ainsi êtes-vous devenue une pâtissière de renommée internationale. Qui n’a pas de boutique propre...

Lorsque j’ai voulu me mettre à mon compte, je n’avais pas les moyens de racheter une boulangerie ou une pâtisserie. Je n’avais pas envie non plus d’être à la fois à la création et à la vente, à faire un maximum de gâteaux pour remplir ma vitrine, en espérant que les clients viennent les acheter pour pouvoir rentabiliser. Je trouvais l’idée laborieuse et je n’avais pas du tout les épaules pour ça. Je me suis dit : « Pour l’instant, on va faire des petits gâteaux et attendre que les clients achètent ce qu’on a produit. » J’ai commencé comme ça. Mon papa, qui est développeur, m’a aidée à faire le site. Mon mari, qui a un côté très entrepreneur, à construire la structure administrative. Au départ, nous avions juste une boutique en ligne. Ensuite, nous avons installé un kiosque sucré [aux nouvelles Halles d’Issy-les-Moulineaux, NDLR], investi Le Printemps du Goût [boulevard Haussmann à Paris, NDLR], travaillé avec des hôtels, des restaurants. Le labo a grandi au fur et à mesure. Nous sommes quarante aujourd’hui. Les commandes sur le site fonctionnent aussi très bien.

Pistache Pistache « Biscuit moelleux, crémeux onctueux, mousse légère, praliné... Tous les accords de la pistache en un seul gâteau. Le petit crumble pistache en dessous, c’est un peu ma signature. » © Louise Marinig
« Ces titres de “meilleure pâtissière” vous donnent une visibilité incroyable. C’est merveilleux de les obtenir, mais il ne faut pas en faire n’importe quoi. Il faut savoir rester extrêmement concentrée. Il y a des gens qui vous attendent au tournant, de nouveaux clients qui arrivent et vos équipes qui sont pleines d’espoir. C’est une grande responsabilité. » © Marie Etchegoyen/M6

Le Meilleur Pâtissier sur M6, Sucrément bon sur Téva... La télévision a-t-elle été utile pour vous ?

Oui, très. Déjà, parce que ça nous a fait connaître. C’est important la visibilité. C’est aussi une grande chance que sa voix soit entendue. Et ce que j’aimerais transmettre, ce ne sont pas seulement des recettes de gâteaux mais également cette philosophie du respect de l’être humain, de la bienveillance, des choses simples qui peuvent devenir grandes si on les partage bien. C’est pour cela que j’aime faire des gâteaux sur les réseaux sociaux avec mes enfants, montrer qu’on peut faire plein de choses accessibles à tous. Ça crée de très beaux moments en famille.

Comment se sont décidés ces posts de recettes avec vos filles Anastasia et Adèle ?

Dans les derniers jours du confinement. C’était avant que j’accouche d’Adèle. Comme nous avions promis à Anastasia de tourner une vidéo avec son papa, je lui fais faire la pesée des ingrédients des cookies. Et là, elle sort la recette entière sans nous ! Elle avait 2 ans et ses explications étaient très claires. Au départ, nous avons failli ne pas la mettre en ligne. Mais à bien y réfléchir, que risquions-nous à la poster ? On trouvait la vidéo tellement mignonne. Vite, les retours ont été incroyables. Des parents nous ont dit que leurs enfants regardaient la vidéo d’Anastasia et voulaient faire des gâteaux avec eux. Ça a créé une très belle dynamique.

Avec Mathieu, son mari, directeur général de Délicatisserie, et leurs enfants, Anastasia et Adèle : « Je n’obligerai jamais mes filles à suivre mon parcours. Il faut vraiment que ce soit une passion, parce que c’est un métier tellement dur. Mais si ça vient du plus profond de leur cœur, alors oui, je serais très contente qu’elles fassent la même chose. » © DR

Ne craignez-vous pas leur surexposition ?

Nous n’avons pas fait tant de vidéos que ça avec les filles. L’idée, ce n’est pas de les transformer en youtubeuses. Nous en tournons de temps en temps pour les partager ensuite de façon très simple. Une petite vidéo, c’est comme une photo. Une façon de montrer qu’on fait des bêtises au quotidien, que les petites filles sont toutes pareilles, qu’elles sont heureuses de faire des gâteaux avec leur mère. Avec mon travail, je les vois peut-être un peu moins que la majorité des mamans. Lorsque nous sommes ensemble, je me donne à 400 %. Elles ont grandi comme ça. Et quand elles retrouvent leur maman à la maison, c’est une femme heureuse, épanouie, qui vit de sa passion. En famille, on parle de gâteaux, on mange des gâteaux et quand on se balade dans une ville, nous allons d’abord faire le tour des pâtisseries.

Croquez-vous toujours la vie de cette manière ?

Je suis toujours heureuse mais, parfois, je peux être très énervée. Lorsque j’ai mangé trop de sucre, je me mets facilement en colère. Le sucre, ce n’est pas toujours bon, ça énerve. Il y a juste deux moments dans la vie où je peux être très chiante : quand j’ai faim et quand je suis fatiguée. Dans ces cas-là, il faut me donner à manger ou me mettre rapidement au lit.

La Tarte aux fraises « Des fruits rouges et un petit crumble avec un côté noisette, fruit sec, grillé, qui fait avancer le caractère peps et acidulé du fruit. Le tout adouci par la chantilly. » © Louise Marinig
« La pâtisserie, c’est un luxe abordable. Voilà ce qui est beau. Lorsque je travaille pour le Café Jaeger-LeCoultre, par exemple, j’y apporte ma technique, un pochage minutieux par des artisans d’expérience, des ingrédients de la vallée de Joux où est installée la manufacture horlogère... Concilier création et esprit de joaillerie à travers des finitions les plus précises possibles. » © DR

Rêvez-vous de devenir un exemple pour les petites filles ?

Bien sûr, j’aimerais beaucoup. Je suis vraiment dans la transmission, donc si jamais je peux devenir un exemple, ce serait la plus grande réussite de ma vie. Cela voudrait dire que j’ai bien fait les choses et, pourquoi pas, provoqué certaines carrières.

Avez-vous l’impression de cultiver une image ?

Ce serait mentir que de dire non, évidemment. Être visible, c’est aussi une responsabilité. Il faut faire attention à ce qu’on dit, à sa manière de se présenter. Et j’espère le faire bien. J’essaie toujours d’être présentable et de bonne humeur. Être grognonne, débraillée, à envoyer bouler les gens, je trouve que ce serait un manque de respect par rapport à cette exposition qui m’est offerte. Il faut donner le bon exemple.

Côté loisirs
Côté loisirs « J’ai dû acheter au moins vingt-cinq livres ces dernières années, que je n’ai jamais réussi à terminer. Le soir, je n’arrive pas à m’asseoir sans m’endormir. Je ne parviens même pas à regarder un film et lorsque je me réveille, c’est parce que mes filles viennent me sauter dessus. J’adore lire, écouter de la musique, je joue du piano mais alors pas très bien. En fait, ces dernières années, je me suis surtout concentrée sur ma famille, mon travail et les amitiés qu’il faut garder et protéger. »
Un cœur en sucre
« Je suis quelqu’un de très sensible. Il suffit qu’un proche n’aille pas bien pour que ça me rende triste. Il y a beaucoup d’associations, avec des causes très dures, qui viennent me voir pour que je leur donne un coup de main. Soit je peux participer et je vois tout le malheur du monde. Soit je n’ai pas le temps et je suis prise de culpabilité. Et puis, je peux vite m’assombrir lorsque mes enfants me manquent. Ce n’est pas toujours évident de trouver un équilibre entre le travail et la maison. »
Crédit photo :
Studio 520, Mathieu Salomé, Louise Marinig, Marie Etchegoyen/M6, DR
Article paru dans le n°
8
du magazine.
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