C’est en 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle et de l’inauguration de la toute nouvelle gare de Lyon, que le « Buffet de la Gare » se dévoile aux Parisiens. À l’époque, la compagnie des chemins de fer PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) souhaite proposer aux voyageurs une étape gourmande incontournable, symbole de progrès, de raffinement, d’innovation… Une escale avant l’escale. Pari relevé haut la main. Incarnation de la Belle Époque, la brasserie de luxe de 700 m2 imaginée par l’architecte Marius Toudoire constitue une véritable invitation à l’évasion pour ses clients voyageurs. Dès son ouverture d’ailleurs, le succès est immédiat. La haute société, qui expérimente alors le transport ferroviaire, comme le Tout-Paris des arts et de la culture sont sous le charme. On y croise régulièrement la comédienne Réjane, qui a donné son nom à l’un des salons de l’établissement, l’écrivain Edmond Rostand, ou la grande Sarah Bernhardt qui inaugure les lieux en 1901, aux côtés du président de la République Émile Loubet. Colette, Coc-teau, Coco Chanel, Jean Gabin, Pagnol ou encore Brigitte Bardot, y auront également leurs habitudes…
Il faut dire que le restaurant, rebaptisé Le Train Bleu en 1963 en hommage à l’express de nuit reliant Paris à Vintimille, puis classé Monument historique en 1972, se vivait et se vit encore aujourd’hui comme un spectacle. Composés de plusieurs espaces aux noms évocateurs (le salon doré, de près de 18 mètres de longueur et 11 de hauteur ; les salons tunisien et algérien…), les lieux, comme tout droit sortis d’un décor de cinéma, associent avec éclat moulures, sculptures et dorures, mobilier en acajou, lustres scintillants richement ouvragés. Aux murs et sur les plafonds, quarante fresques peintes à la main déroulent les paysages ensoleillés desservis par le réseau ferroviaire : Marseille nimbée d’un ciel rose crépusculaire, Villefranche-sur-Mer, Monaco et ses reliefs découpés sur la grande bleue... Conservé dans un état exceptionnel, notamment grâce aux travaux de rénovation entrepris en 2014 par l’architecte Jean-Marie Duthilleul, l’ensemble est resté quasiment identique depuis l’ouverture, à une exception près : de nouvelles banquettes bleues remplacent les anciennes assises en cuir brun, comme un clin d’œil à l’emblématique train de nuit filant vers la Côte d’Azur.
Bien sûr, l’escapade au goût de soleil sudiste se poursuit dans l’assiette, sublimée par un service à la française savamment orchestré. Toujours au menu, mais désormais mis en musique par le chef Michel Rostang et son chef exécutif Samir Balia, le mythique gigot d’agneau rôti servi à la voiture de tranche, les crêpes flambées à table, le fameux baba au rhum bouchon et sa volute de crème fouettée vanille, font revivre le temps d’un dîner ou d’un déjeuner, une époque où les gares ne fermaient jamais. On pouvait y écrire, y rêver, y refaire le monde ! Et commencer, avant même la mise à quai des wagons, le début d’un voyage immobile.