Vous imaginez des lieux à forte personnalité où s’articulent très naturellement hommage à la tradition et modernité. Comment réussissez-vous à cultiver ce parfait équilibre ?
Laurent Maugoust (LM) : En amont de chaque projet, nous nous documentons énormément sur le lieu existant, envisageons avant tout son histoire, son style, sa personnalité… Et puis, nous réfléchissons également à ce que l’imaginaire du client en attend, en prenant de la distance vis-à-vis des modes, des tendances. À partir de ce point de départ, nous faisons évoluer les espaces afin de leur apporter de la modernité, y intégrer une idée forte, surprendre, mêler l’exceptionnel au familier…
Cécile Chenais (CC) : Pour le Maona Monte-Carlo par exemple, club emblématique des années 1960, nous avons pensé les volumes à la manière d’une villa méditerranéenne typique. Son restaurant est imprégné de l’atmosphère d’un fumoir des Années folles, les influences sixties et seventies sont aussi présentes, mais elles s’associent à un patchwork de matériaux naturels et plus policés, une accumulation d’abat-jours surdimensionnés, une fresque contemporaine de l’artiste Aurore de la Morinerie, qui a également posé sa signature sur les menus, les cartes et les assiettes de présentation. Une façon de rendre hommage à cette adresse mythique du patrimoine monégasque tout en proposant quelque chose d’inédit, une ambiance éclectique, singulière… et finalement très actuelle.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
LM : Elles sont nombreuses ! Elles nous viennent du cinéma, des arts décoratifs à la française, de décorateurs au style affirmé comme Andrée Putman ou Jean-Michel Frank. Mais nous sommes tout autant influencés par les esthétiques minimalistes et radicales. Des univers opposés mais qui ont en commun d’être très incarnés.
Justement, à quoi doit ressembler le restaurant parfait selon vous ?
LM : C’est un endroit dont on garde un souvenir marquant, sans en retenir quelque chose en particulier, plutôt une sensation générale ; un ensemble de choses y crée l’alchimie : la cuisine bien sûr, mais aussi les parfums, la musique, l’éclairage… Une combinaison instinctive qui, finalement, définit notre objectif en tant que professionnels : nous cherchons à créer les conditions pour que quelque chose se passe pour le client, à la fois impalpable mais évident. Une expérience multisensorielle, au sens propre du terme.
Avez-vous l’habitude de travailler avec le chef avant d’aménager et décorer un restaurant ?
CC : Absolument, c’est pour nous une étape indispensable. Nous échangeons avec lui sur ses valeurs, ses choix éthiques, la façon dont il envisage le service afin que la distribution des espaces, la décoration, les matériaux concourent à retranscrire sa vision de l’art culinaire, composent un tout fluide, cohérent, en harmonie avec ses partis pris.
Le miroir est une constante dans vos projets : au plafond du restaurant de l’hôtel Roosevelt à Nice, sur les assises de celui de l’hôtel Bowmann à Paris… Pourquoi ce choix
LM : Lorsque nous découvrons un nouvel endroit, nous aimons être étonnés, surpris. Le miroir est un objet qui a ce pouvoir-là. Il perturbe la perception des volumes, les étire, crée des effets d’optique saisissants. Lorsqu’il est posé au plafond par exemple, il prolonge visuellement les corniches, les pans de rideaux, peut faciliter un effet de puits de lumière… C’est un objet théâtral, un peu magique.
Un projet de restaurant un peu fou sur lequel vous rêveriez de travailler ?
LM : Un décor à l’ancienne, feutré et très visuel à la fois, éclairé à la bougie, dans la veine du film Barry Lyndon de Stanley Kubrick.
CC : J’aimerais beaucoup plancher sur un projet de restaurant nomade, entièrement démontable et dont je signerais le mobilier, les luminaires, la vaisselle. Il pourrait être installé dans des lieux inattendus : au cœur d’une palmeraie, en montagne, dans le désert… Pour une parenthèse gourmande totalement unique !
De prochaines réalisations bientôt dévoilées ?
LM : Oui, notamment le restaurant étoilé Saint-James, à Bouliac, près de Bordeaux, qui rouvrira ses portes en octobre prochain. Pour sublimer la cuisine végétale de son chef Mathieu Martin, nous avons imaginé un parcours déambulatoire, intégrant une cuisine ouverte, une aire de repas avec vue panoramique sur la ville. À l’image des saveurs proposées au menu, les matériaux bruts, les jeux de textures et d’étoffes, les fibres naturelles y auront une place centrale.
CC : Actuellement, nous avons aussi la chance de travailler sur le nouvel environnement du restaurant de l’hôtel Negresco à Nice. Affaire à suivre…