Juan Arbelaez sur tous les fronts

À 35 ans, Juan Arbelaez semble ne plus savoir où donner de la tête, qu’il a pourtant bien ancrée sur les épaules. Le jeune chef colombien sait ce qu’il veut, d’où il vient et où il va. RESTO l’a suivi le temps d’un entretien-fleuve.
Article rédigé par
Jean-Pascal Grosso

Arrivé en France à l’âge de 18 ans après une enfance en Colombie, Juan Arbelaez entame une formation à l’école Le Cordon Bleu, à Paris, qu’il perfectionne sous la houlette de Pierre Gagnaire, Éric Briffard puis Éric Frechon. En 2012, sa participation à la saison 3 de « Top Chef » le place parmi les jeunes cuisiniers à suivre. Un an plus tard, il ouvre Plantxa, son premier restaurant, à Boulogne-Billancourt, près de Paris. S’ensuit une riche aventure culinaire : le Nubé sur les Champs-Élysées, la franchise grecque Yaya… Figure médiatique, le chef participe à plusieurs émissions (« Cuisine impossible », « Dans la peau d’un chef »…) et prête sa voix à une production Disney, Encanto : La Fantastique Famille Madrigal. Il vient d’ouvrir un nouveau restaurant Yaya à Lille, une cave à manger basque, Arbela, à Paris, signe la carte du Café Messika au Printemps-Haussmann et un « carnet de route » sur la cuisine colombienne, Recuerdame, aux éditions First.

De quel milieu venez-vous, Juan Arbelaez ?

J’ai eu la chance de naître dans une famille aimante. Nous faisions partie de la classe moyenne colombienne. Grâce au travail de mon père avocat, nous avons pu vivre dans de beaux endroits sans jamais avoir à nous plaindre. Les choses se sont compliquées dans les années 1980-1990 avec ce qui s’est passé en Colombie (la progression du narcotrafic qui a déstabilisé l’État et provoqué la montée de la violence, NdlR). Ces années-là ont été un peu plus difficiles, même si nous avons continué à vivre dans de bonnes conditions. 

« Je suis tellement amoureux de mon pays d’origine, tellement fier, tellement passionné. La Colombie m’a donné une vision différente de la vie, des racines, le goût des couleurs et de la fête. Il y a une chanson qui dit que “l’Amérique latine est un pays auquel on a coupé les jambes, mais qui n’a jamais cessé de marcher”. Le peuple colombien est comme ça. Il vit avec philosophie et continue à être heureux même s’il possède peu. » © Le Photographe du Dimanche

Un souvenir particulier de cette époque violente pour la Colombie ?

Je me rappelle le temps où les cartels de Medellín et de Cali se faisaient une guerre de territoire. Un jour, nous avons déposé ma mère pas loin de la Calle 93, où il y avait un centre commercial. Nous sommes partis et, 30 minutes plus tard, une bombe a explosé. Je devais avoir 5 ans, mais je garde en mémoire la panique à la maison. Nous pensions que ma mère et ma tante étaient là-bas à faire leurs courses. Elles étaient parties ailleurs.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à votre arrivée en France à l’âge de 18 ans ?

Je venais avec l’espoir d’accomplir le rêve de mon grand-père. J’ai débarqué à Paris en plein hiver, au mois de janvier. Cette ville est en ébullition constante, mais c’est la froideur des gens qui m’a le plus choqué. Au départ, c’était très dur à vivre. Mais finalement, vous comprenez que les Parisiens sont comme des artichauts : durs dehors, mais au cœur moelleux et fondant.

« Le jus de cuisson des palourdes marinières est mixé avec de la mangue. Ajoutez citron, citronnelle, oignons, ail et piments. Un plat tropical. »© Sophia Van Den Hoek

Vous avez été révélé au grand public par « Top Chef ». Appréciez-vous la télévision ?

À la télé, il y a des gens fabuleux, créatifs. C’est un univers de dingue, qui m’a permis de voyager. Grâce à « Cuisine impossible », j’ai découvert les cuisines islandaise, canadienne, israélienne, bavaroise… D’une certaine façon, la télévision m’a permis d’accrocher d’autres cordes à mon arc.

Quelle image avez-vous de vous ?

Je suis un peu un enfant du monde. Le mec qui vient de Colombie, installé en France et qui, aujourd’hui, voyage un peu partout. Un enfant terrible, toujours curieux, et qui a envie de partager ce qu’il connaît.

« Au départ, je rêvais d’être publicitaire. J’ai toujours trouvé la créativité intéressante. Avec la cuisine, j’ai non seulement la créativité mais, en plus de ça, la possibilité de recevoir et de partager. Finalement, je n’ai jamais l’impression de travailler car je fais toujours ce que j’aime. » © Le Photographe du Dimanche

Beau mec, est-ce que ça aide lorsqu’on est un chef « médiatique » ?

Je ne pense pas. Il y a beaucoup de chefs à belle gueule qui ne sont jamais allés très loin. Et il y en a d’autres, peut-être moins beaux, qui réussissent brillamment. Et qui est le chef le plus médiatique actuellement en France ? Philippe Etchebest ! C’est une vraie nature, un homme de caractère, plus qu’une gravure de mode. Et c’est ce que le public recherche aujourd’hui.

Votre dernière rencontre avec une groupie ?

Au Festival de Cannes cette année. J’y avais fait une carte avec mon frère spirituel, Julien Duboué. Le soir, j’étais un peu plus libre. Alors je me suis rendu à une soirée. En chemin, un mec m’a demandé de faire une photo. Là, cinq personnes ont vu qu’il y avait une photo. À leur tour, elles ont osé. Soudain, une nana s’est lancée dans un énorme sprint de 10 mètres vers moi : « Je peux aussi faire une photo ? » On l’a prise et là, elle m’a regardé et m’a demandé : « Mais vous êtes qui, monsieur ? » J’ai explosé de rire.

« Le Minuty, dessert à la glace framboise-basilic et vin Minuty. Avec meringues et gâteau au yaourt. Le tout accompagné d’un verre de rosé. »

Comment vous détendez-vous ?

Vélo, CrossFit, escalade, natation, course à pied, triathlon… c’est une énorme échappatoire. Je cultive également une vraie passion pour le vin et pour les vignerons. C’est un métier qui se rapproche grandement du nôtre et nous ne serions rien sans eux. Les gens qui se cachent derrière chaque bouteille sont souvent formidables.

Peut-on avoir une vie normale en étant chef ?

Est-ce que je mène une vie « normale » ? Non. Je n’ai pas le rythme de quelqu’un qui bosse huit heures par jour et qui rentre le soir chez lui. Maintenant, il y a beaucoup de cuisiniers qui y arrivent en travaillant soit le soir soit le midi, cinq jours sur sept. Ça commence à venir. C’est un métier très dur qui, longtemps, a été plombé par de vieilles habitudes et des valeurs obsolètes qu’il fallait éradiquer…

Du genre ?

Les excès, les colères en cuisine, 15 heures de boulot par jour… Tout ça, je l’ai vécu. Ça m’a formé. Nous étions tellement obnubilés par nos chefs que nous supportions tout, en ne comptant rien.

Vous vous êtes séparé de Laury Thilleman en 2022. Le mariage, on ne vous y reprendra plus ?

Je ne me suis pas marié pour l’idée même du mariage. Plutôt pour une grande fête durant laquelle on célèbre l’amour de deux personnes. Je ne serai jamais fermé, mais le mariage est à mes yeux un peu arriéré. Faisons la fiesta entre copains et plantons un arbre qui symbolisera cette union pour la vie ! Je préfère ça à la mairie ou à l’église pour y signer un papier. Un papier, ça n’empêche pas le divorce.

Pour finir, une chose que votre rythme de vie vous empêche de faire ?

Dormir un peu ! Chez nous, la sieste n’existe pas.

Les péchés de Juan Arbelaez
« Le vin. J’adore ça, mais je m’impose des règles. Sinon, je pourrais me perdre. J’évite de boire sur mon lieu de travail aux heures de boulot. Le sport, aussi. Quand je n’en fais pas, je deviens vite colérique. Et la fête ! Je suis un type extrêmement heureux, excessif dans tout ce que je fais. Dans le travail, l’amour, l’amitié… Je fume une clope de temps en temps. Ce n’est pas vraiment un vice. Je ne fume que lorsque je suis vraiment pété ! »
Juan Arbelaez fan de cinéma
« Je suis cinéphile. Mon peu de temps libre, c’est pour aller au cinéma ou regarder des films chez moi. J’aime autant les grands classiques que les films de genre. Pareil avec la bouffe : je peux adorer une table gastronomique comme une côte de bœuf entre copains avec une bouteille de morgon. Et puis, le cinéma et la cuisine ont toujours avancé main dans la main. La scène mythique de la préparation de la sauce dans Les Affranchis de Martin Scorsese, le spaghetti presque éternel de La Belle et le Clochard… Chaque film, comme chaque plat, est une question d’instant. »
Crédit photo :
DR, Nicolas Gerardin, Sophia Van Den Hoek, Le Photographe du Dimanche
Article paru dans le n°
4
du magazine.
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