Adepte des jeux de miroirs, Gabrielle Chanel se plaisait à observer, depuis sa table réservée, le ballet d’une clientèle parfois aussi célèbre qu’elle. Marcel Proust, Colette ou Jean Cocteau faisaient partie des fidèles d’Angelina. Son onctueux chocolat chaud et son mont-blanc attirent encore les personnalités du monde entier, parmi une foule d’amateurs et de touristes serpentant sous les arcades de la rue de Rivoli. Ouvert en 1903 dans un Paris bouillonnant, le salon de thé conserve son charme Belle Époque. De style néo-classique, les pilastres à chapiteaux corinthiens, les corniches et les innombrables décors de guirlandes rehaussés d’or lui donnent toute son élégance. Bordée de comptoirs aux délicates courbes, son entrée se fait théâtrale avec son grand escalier menant à la mezzanine du premier étage. Elle ouvre sur un premier salon baigné d’une douce lumière filtrée par la verrière qui le surplombe. Ses tables de marbre, chaises médaillon Louis XVI et luminaires d’inspiration Art déco meublent deux plus petits salons à sa suite.
C’est à l’architecte Édouard-Jean Niermans qu’Angelina doit son intemporel chic parisien. Entre historicisme et Art nouveau, il signe les adresses les plus prisées de la haute société : le Casino de Paris, le Moulin-Rouge, la brasserie Mollard à Paris, l’Hôtel du Palais à Biarritz ou encore le mythique hôtel Le Negresco à Nice. Pour le 226 rue de Rivoli, il fait appel à l’un de ses collaborateurs, le peintre-décorateur Vincent Lorant-Heilbronn. Ses paysages transportent les clients sur la Côte d’Azur, là où le fondateur d’Angelina, le confiseur autrichien Antoine Rumpelmayer, s’est fait une notoriété. Il a décroché en 1896 le titre de « maison impériale » pour ses établissements de Nice et de Menton, un statut directement accordé par Sissi, l’impératrice d’Autriche, qui les fréquentait durant ses séjours méridionaux. Sept ans plus tard, Antoine Rumpelmayer part à l’assaut de la capitale, en ouvrant avec son fils René ce nouveau haut lieu de l’aristocratie parisienne. Au décès de ce dernier en 1915, Angelina, sa veuve, hérite du salon de thé. Elle le lèguera, à sa propre disparition en 1954, aux descendants de sa sœur, la famille Paureau, dont un certain Jean-René signe dans les années 1930 des décors peints sur la mezzanine. C’est alors que l’« ancienne maison René Rumpelmayer » prend, en son hommage, le nom d’Angelina.
Les salons de thé Rumpelmayer, si célèbres qu’ils constituaient le cadre de certains récits romancés, ont essaimé, du temps de leur apogée, à Cannes, Aix-les-Bains, Monte-Carlo, Londres et New York, ainsi qu’en Allemagne où l’adresse de Baden-Baden demeure ouverte. Quant aux codes esthétiques et au talent pâtissier d’Angelina, ils s’exportent depuis 2013 dans une vingtaine d’adresses à l’international, comme symboles d’un certain art de vivre à la française.