Alexis Mabille « Un restaurant, c’est comme un petit théâtre »

Son bureau de décoration ne s’appelle pas Beau Bow par hasard. Un nom qui évoque le nœud papillon emblématique de celui qui, en plus d’être membre officiel de la Fédération de la haute couture et de la mode, s’est taillé une réputation dans l’univers de l’aménagement intérieur. Avec des restaurants, de Paris à Marseille, où l’on reconnaît la griffe Alexis Mabille.
Article rédigé par
Cécile Olivéro

Passer de la création d’un vêtement à celle d’un intérieur, est-ce faire un grand écart ? La première nourrit-elle la seconde ?
Il s’agit d’un exercice de volumétrie, de gestion des espaces, de construction, de jeux de matières et de couleurs. Il faut oser avoir son point de vue pour créer l’identité de marque d’un endroit. En ce qui me concerne, la mode et le design se nourrissent. C’est une danse d’inspirations et d’expressions. Quand je travaille un concept de restaurant, je me glisse dans la peau d’un comédien pour que le résultat soit vivant.

La décoration d’un restaurant vous autorise-t-elle des libertés et des audaces que vous ne prenez pas avec celle d’un appartement ou d’une maison ? 
Je n’y pense jamais vraiment, mais dans les premiers pas de la création d’un concept de restauration, il y a ce jeu entre l’identité, qui doit être claire, et les circulations qui font qu’un lieu fonctionne. Un restaurant, c’est comme un petit théâtre, le spectacle est dans l’assiette, bien sûr, mais également dans la salle. 

Le Bœuf sur le Toit, redécoré par Alexis Mabille, a conservé l’ambiance Art déco des années 1920. © DR

Un restaurant doit-il impérativement raconter une histoire, inviter son hôte à embarquer pour un voyage qui débute visuellement et se poursuit gustativement ?
Oui et non, cela dépend de la personnalité du chef et du type d’établissement, mais dans tous les cas, il doit être un lieu de bien-être qui vous emmène quelque part. Ça se joue à de petits détails qui vont créer une ambiance entre les couleurs, la lumière, l’art de la table, la configuration des espaces… c’est comme la recette d’un bon plat.

Ressentez-vous un attachement particulier pour Froufrou*, l’un de vos premiers projets de restaurant ? 
Oui, bien évidemment ! Il était magique, il a connu un grand succès, même si aujourd’hui, malheureusement, il n’est plus. J’y avais mis beaucoup de cœur. Froufrou incarnait la pluralité d’un théâtre et plongeait le public dans l’inattendu. Le lieu était complexe, sans fenêtre, il a donc fallu revoir les espaces pour insuffler de la respiration tout en gardant l’intimité et la chaleur d’un bar d’hôtel.

Au Cipriani Saint-Tropez, Alexis Mabille fait se rencontrer les vibrations de la Vénétie et la douceur provençale de Saint-Tropez. © DR

Le miroir joue un rôle important dans la décoration de chacun de vos établissements. Est-il devenu un incontournable, votre signature ?
Je suis fasciné par sa capacité à créer des effets de perspectives et de lumière. Grâce à lui, on obtient de la profondeur, de la hauteur. Un incontournable, je ne sais pas, mais c’est presque un toc chez moi, j’aime essayer de pousser les murs et le miroir fait partie de ce travail visuel.

Chez Carmona, à Paris, sur le bord de la Seine, vous avez placé le miroir au plafond. Pourquoi ?
Pour donner de la hauteur à la véranda et créer un trouble ludique. Le décor sévillan se retrouve twisté comme dans un kaléidoscope, c’est une ivresse visuelle.

Carmona, c’est l’Andalousie, avec ses murs en terracotta, ses arches arrondies, ses coquillages, ses mosaïques… © DR

Andia Marseille fait la part belle à la végétation. Est-elle un autre élément fort de votre vocabulaire de décorateur ?
Pour Andia, l’idée était de recréer une jungle de la cordillère des Andes, « sous acide », c’est-à-dire vue avec un regard décalé, qui s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants. Je me suis dit que je voulais une jungle comme dans une orangerie à Versailles, une orangerie qui serait devenue un club. On oscille donc entre la structure de brique et de pierre, splendide architecture, avec des détails de fresques comme dans un palais napolitain, et une abondance de végétaux où évoluent des animaux géants en métal et en bronze. Les luminaires sont de grandes fleurs colorées et les palmiers s’illuminent, comme à Palm Springs, avec un bar très gold fever. Andia est une enclave un peu hors champ dans mon travail de décorateur que j’ai aimé faire comme un comédien sortant de sa zone de confort ; je l’ai imaginée avec un regard d’enfant.

Andia, c’est « une jungle en état de fête absolue ». Alexis Mabille a laissé libre cours à son imagination pour créer un décor grandiose dans lequel on plonge avec délice. © DR

Votre prochain projet de restaurant ?
Je suis en train de refaire les deux restaurants d’un Relais & Châteaux en bord de Loire, Les Hautes Roches. Et je vais concevoir prochainement un restaurant Kaspia à Bodrum, en Turquie, dans la même veine que celui de Los Angeles.

Le restaurant que vous rêvez de réaliser ?
Je ne réfléchis pas dans ce sens, j’ai des idées que je garde dans mes tiroirs et qui sortiront peut-être un jour. Tout reste à venir pour moi qui aime les challenges. En décembre dernier, j’ai livré Lido 2 Paris. Une expérience passionnante. Inédite aussi car gigantesque et faisant cohabiter les aspects scéniques et techniques de ce nouveau rendez-vous du théâtre musical international. J’ai en moi cette exigence du client qui désire passer du bon temps dans un environnement d’exception.

Mode et déco ou déco et mode ?
Mode et déco ou déco et mode ? Lyonnais d’origine, Alexis Mabille sort diplômé de l’École de la chambre syndicale de la couture parisienne en 1997. « La décoration m’a toujours attiré, j’aime l’idée de créer une bulle, un cocon, qui va engendrer des sensations. J’ai choisi la mode mais j’aurais pu aller d’abord vers la décoration et, naturellement, j’y suis revenu. » Beau Bow, son agence de déco, s’inscrit dans la logique d’un parcours où la création reste le fil conducteur. S’affranchissant des diktats des tendances, Alexis Mabille signe des mises en scène où les époques se rencontrent, les styles s’entrechoquent avec bonheur, les couleurs se répondent.
Ilan Dray, directeur, et Pauline Escartefigues, manager de salle d'Andia Marseille
« Alexis Mabille est un habitué de Moma Group, il a signé le décor de plusieurs établissements. Son approche très théâtrale et sa maîtrise du spectaculaire assurent à Andia un caractère unique. Il a réussi à recréer ici une jungle, nos hôtes ont l’impression d’être au cœur d’une forêt tropicale, avec ses animaux – perroquets, singes, girafes, serpents… Cette décoration va de pair avec la cuisine aux accents sud-américains de notre chef et garantit à tous ceux qui franchissent le seuil d’Andia une expérience haute en couleurs et en saveurs. »
Crédit photo :
DR
Article paru dans le n°
6
du magazine.
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