Boissons

Bordeaux se met à table

Les vins du Bordelais trouvent à nouveau leur place dans les restaurants. Une bonne nouvelle car la diversité des cuvées proposées par le plus grand vignoble de France se prête bien à toutes les cuisines et à toutes les saisons.
Article rédigé par
Sylvain Ouchikh

Depuis 14 ans, avec certes une pause de deux ans à cause du Covid, le négociant bordelais Duclot, par le biais de sa filiale dédiée aux professionnels de la restauration, La Vinicole, organise durant un mois une vente des grands crus bordelais à des prix cavistes, à l’intention de restaurants répartis partout en France. Une initiative, baptisée « Carte sur Table », qui a séduit quelques bonnes tables parmi lesquelles, pour l’édition 2024 qui a eu lieu de mi-mars à mi-avril, Les Petits Princes à Suresnes en région parisienne, Pierre Sang on Gambey à Paris, la brasserie de l’Hôtel Rochechouart à Paris, Le Carreau à Bordeaux, le Marloe à Biarritz… 

Dans ces établissements, le vin blanc du Château Cos d’Estournel, Pagodes de Cos, avec son assemblage de 85 % de sauvignon blanc et 15 % de sémillon, tout en fraîcheur et en délicatesse, était ainsi proposé à 60 euros contre 180 euros, voire davantage, en fonction du domaine. Les amoureux du Château Figeac et de son style unique en rouge, Grand Cru classé A de Saint-Émilion, ont pu se le procurer dans son excellent millésime 2010 au prix de 350 euros contre, parfois, plus de 1 000 euros. Acheter ces vins chez un caviste aurait coûté le même prix, peut-être même plus.

Le vignoble bordelais compte près de 112 000 hectares de vignes, 57 appellations et plus de 6 000 viticulteurs. © Vinexia

Jouer « carte sur table » 

Cette opération « Carte sur Table » vise clairement à montrer que les vins de Bordeaux ont leur place dans la restauration, comme l’explique Luc Lemieux, le directeur de La Vinicole : « L’idée géniale de Jean Moueix, le président de Duclot, était de pouvoir proposer des grands vins de Bordeaux, qui sont assez chers normalement, à tous ceux qui souhaitent les déguster avec une cuisine qualitative et à des prix plus que raisonnables »

Cette année, parmi les 32 restaurants partenaires (adresses étoilées, bistrots et brasseries), on dénombrait 22 nouvelles tables : la preuve en chiffres que les vins de Bordeaux redeviennent attractifs auprès des professionnels. Le chef parisien David Toutain, 2 étoiles Michelin, dont la cuisine originale est basée sur l’amertume et l’acidité, est un bon ambassadeur. Depuis cette année, il collabore avec le Château Lagrange, 3e Grand Cru Classé en 1855 de l’appellation Saint-Julien dans le Médoc. De juin à la fin de l’année, avec son sommelier Alexandre Morlier, il prépare pour ses clients des accords mets et vins lors de semaines spéciales : « Les vins de Bordeaux ont leur place au même titre que les autres régions comme la Bourgogne, la Champagne, la Loire ou encore le Languedoc, rappelle-t-il. Il serait dommage de s’en priver et surtout de les boycotter car ils n’ont jamais été aussi bons. Il est temps de les découvrir à nouveau »

Si Bordeaux a forgé la notoriété du vin français dans le monde entier, c’est grâce à sa capacité à proposer des vins avec des qualités organoleptiques variées, tant dans les blancs que dans les rouges, qui s’accordent à merveille avec certains mets. L’exemple des blancs secs généralement vifs et fruités de l’Entre-deux-Mers est parlant. Avec leur finale iodée et leur pointe acide, ils font le bonheur des estivants dans les cabanes à huîtres du bassin d’Arcachon. Autre exemple, toujours dans la même couleur, mais en sauternes cette fois : « le blanc sec “Lions de Suduiraut” du Château Suduiraut, avec son style tout en légèreté, en suavité, et sa caractéristique minérale, s’accorde très bien avec les tartares ou les carpaccios de poissons qui sont servis le plus généralement dans les bistrots et les brasseries », souligne Corinne Illic, sommelière de profession et actuellement directrice d’Axa Millésimes, le propriétaire du Château Suduiraut. Sur les cuisines très épicées comme la sichuanaise ou la thaïlandaise, où il est si difficile d’établir un dialogue cohérent tant le feu en bouche peut être présent, un blanc de Pessac-Léognan, avec sa puissance aromatique sur les fruits, tapisse avec bonheur le palais. Une simple assiette de charcuterie « copinera » à merveille avec un rouge aux fruits croquants de Castillon.

Durant l'été, un travail d'effeuillage est nécéssaire pour assurer la bonne maturité du raison. © A.Gariteai

L’accessibilité des vins 

Avec les 57 appellations qui le constituent, le Bordelais a la chance de posséder des vins accessibles à toutes les bourses.
En effet, aux côtés des grandes bouteilles à la renommée mondiale, certaines cuvées dont les tarifs évoluent entre 7 et 20 euros procurent un véritable plaisir gustatif. Parmi elles, le Château Marjosse du domaine personnel de Pierre Lurton (il dirige les châteaux d’Yquem et Cheval Blanc) ou encore Château Castera avec sa gamme « Anthoinette ». Mais aussi Château Fourcas Hostens, remarquable pour son blanc magnifique en culture biologique. Bordeaux est multiple et sans doute pour cela, unique.

3 questions à Allan Sichel, président du Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB)
Le bordeaux bashing, c’est du passé ? Espérons-le, surtout. On sent depuis un moment un retour de curiosité vers Bordeaux. C’est le résultat du travail engagé par toute la filière depuis plusieurs années déjà pour renverser cette tendance. Notre objectif est de transformer le « bordeaux bashing » en « bordeaux loving ». C’est notre approche avec ce slogan : « Ensemble, mais tous singuliers ». Que cherchez-vous à démontrer avec cette punch-line ? Nous cherchons à humaniser, à montrer que derrière chaque bouteille, il y a un vigneron avec son histoire, sa manière de travailler, sa philosophie, son impact sur l’environnement et sur le consommateur. Nous devions lutter contre cette idée que Bordeaux était synonyme de gros opérateurs. On entendait même le mot « industriel ». La réalité est différente. Le vignoble bordelais est constitué d’une multitude de petites exploitations familiales. Bordeaux est plein de jeunes vignerons ; il faut arrêter de penser que c’est un vignoble vieillissant. Cette nouvelle génération apporte-t-elle une approche plus contemporaine ? Les jeunes viticulteurs sont souvent bien diplômés. Ils sont en phase complète avec la consommation moderne du vin. On associe trop souvent Bordeaux à des moments formels, voire prestigieux, élitistes et onéreux. Si cela représente une réalité de l’offre de Bordeaux avec les grands crus, cela ne dépasse pas 5 % des volumes produits sur ce vignoble. Ces jeunes viticulteurs produisent des vins pour des repas déstructurés, en afterwork, en apéritif… Il y a donc un élargissement du spectre des vins produits à Bordeaux. Avec des nouvelles cuvées plus originales, avec moins de tannins, plus de fruits et parfois même élaborées pour être consommées fraîches, l’été, à une température de service de 10-11 degrés. Elles contiennent souvent moins d’alcool également.
Crédit photo :
Vinexia, Gbonnaud_CIVB, A. Gariteai, Allan Sichel
Article paru dans le n°
7
du magazine.
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